Elle soupira de soulagement quand il se calma. Elle avait bien conscience de la chance qu'elle avait. Ou du moins, si on pouvait appeler chance le fait d'avoir éloigné de quelques jours le jour de sa mort. Elle en était sûre, cette certitude pulsait en elle, il n'allait pas la lâcher. Elle n'avait aucune idée de jusqu'où ça pouvait aller et c'est ce qui l'angoissait. Finir en proie d'un dangereux mais séduisant psychopathe ne fait pas partie de son rêve américain. Il existait peut-être des filles tordues qui n'attendent que de se faire violer, mais Madison, tout ce qu'elle voulait, c'était ne plus jamais revivre ça. Ne plus jamais revoir cet homme. Elle voulait mettre beaucouuup de distance entre eux.
Pour l'instant il avait décidé de s'enfermer dans sa bulle. Il fredonnait quelque chose mais Madison ne comprenait rien et n'arrivait pas à saisir l'air. Soit, s'il boudait, elle bouderait aussi. Elle s'adossa à la fenêtre tout en l'observant. Elle le voyait de profil. Il regardait dans le vide, de la tristesse sur le visage. Elle eut presque pitié pour lui. Il avait l’air tellement torturé tout à l’heure. Ce qui ne collait avec l’image de meneur froid et cruel. De quoi attendrir le petit cœur de la jeune blonde. Une petite voix digne des dessins animés à morale relou lui souffla « Nooon, ne t’approche pas ! C’est le grand méchant loup. » Cette petite voix gonflée à l’hélium n’avait pas tort. Lui était le grand méchant loup et elle la petite brebis égarée qui allait finir en steack grillé. C’était franchement pénible d’être une fille sans force – sauf quand il s’agit de fringues. On était la proie du premier mec qui était foutu d’immobiliser une nana et de la faire taire en la balançant violemment dans une camionnette. Finalement les sprays anti agression ce n’était pas si inutile. Mad’ aurait sûrement moins galéré pour se casser si elle aurait pu vaporiser un peu de poivre d’elle ne sait plus quoi dans la tronche de ce type. De D. De ce gangster qui avait dans une période de big nostalgie. Elle ne comprit pas ce qui la prit là, mais elle se glissa dans un silence complet vers le fauteuil où il était assis. Il fermait toujours les yeux et ne semblait pas la voir approcher. Elle avait une folle envie de poser une main sur la joue de D.
Vous me demanderez, qu’est-ce qu’il lui arrive ? Il y a à peine cinq minutes elle aurait gerbé tous contacts avec lui et maintenant qu’il avait l’air si fragile et innocent elle n’avait qu’une envie, c’était de le consoler. De lui offrir son soleil ensoleillé et quelques douces paroles. Le truc c’est que Mad’ aime les badboys. Encore plus quand ils ont cet air « Je suis un dur mais je ne ferai pas de mal à une mouche. » Et en plus de son affection démesurée pour les méchants, elle détestait qu’on l’ignore. Mad était un soleil, et le soleil on le regardait, on l’admirait, on l’enviait, on le détestait, mais on ne l’ignorait pas ! On ne la boudait pas.
Elle allait couvrir la distance qui les séparait quand on frappa trois coups secs à la porte. Mad fit un bond en arrière qui la ramena contre son cher mur et près de son paquet de cigarettes.


- D. ?

Un homme entra dans la pièce. En fait non, un jeune homme. Il devait avoir à peine vingt-cinq ans. Il était pas mal, très grand, les cheveux blonds en bataille comme s’il venait de se réveiller et un air mauvais. On voyait briller dans ses yeux verts un éclat malsain. Lorsqu’il posa les yeux sur Madison, elle eut frisson. Surtout parce qu’il avait esquissé un sourire qui ne présageait rien de bon. Puis face à D il reprit un air professionnel. La blondinette se fit toute petite, agrippant son sac comme si c’était son seul moyen de survivre. Elle fouilla à l’intérieur, à la recherche de son portable. Aïe. Trois messages. Un appel en absence. C’était son amie Elle qui l’avait appelée, Jeff qui lui avait envoyé un message pour lui dire qu’il était désolé encore de ne pas être venu et qu’il l’aimait, et les deux autres sms étaient d’une fille de son club de théâtre. Elle regarda l’heure. Minuit et demi. Déjà ? Han mon Dieu, qu’est-ce qu’elle donnerait pour se blottir dans son lit.

D. songeait. A Ella, à sa courte vie et aux désastres qui l'avaient suivie. Et si de son coeur suintait encore le désir de vengeance et le mépris, aussi intacts qu'au premier jour, les souvenirs se mélangeaient et flirtaient ensemble. Le passé et le présent ; l'instant d'après, celui d'avant ? Ce qui semblait acquis se dissolvait, et ce qui avait semblé éternel se transformait. Les différences se prononçaient, s'accentuaient et devenaient indissociables. Sur le visage de l'une apparaissait un grain de beauté : un étranger, sur le visage de l'autre, c'était un éclat dans le regard qui s'effaçait. Ella et Madison... Madison ou Ella ? Elles s'assemblaient sur le visage d'un ange que D. connaissait par coeur. La fossette n'y était pas, le grain de beauté était sans doute un étranger mais ces yeux... et la fine ossature de sa mâchoire, ses lèvres pleines mais délicates... La bouche de D. s'arrêta de murmurer : ces images le torturaient. Il n'arrivait plus à se figurer Ella dans son entier. A chaque fois, les imperfections de Madison venaient parasiter les traits parfaits de sa déesse et empoisonnaient ce qu'elles touchaient. Il haïssait Madison, il haïssait le monde. Mais ce qu'il haïssait encore plus, c'était lui. A quoi bon se voiler la face ? De pathétique dealer, il était certes parvenu à asseoir son trône sur la ville de New-York. Il pouvait donner l'ordre de tuer et quelques rares fois celui de sauver. Mais pour Ella, c'était trop tard. Et pour lui, c'était trop tard aussi. Mais malgré cette partie de lui qui s'était résignée, une autre continuait à espérer qu'Ella reviendrait. Sous la forme d'un ange de lumière ou bien d'obscurité. Il l'espérait, il y croyait, comme un fou qui se raccroche aux derniers fragments de son humanité. Il avait acquis cette certitude depuis le jour où elle lui avait dit :
"Tu ne crois pas que les dieux existent, alors en quoi crois-tu ?"
" Aux anges" avait-il répondu. Parce qu'elle était le sien. Son amour, son souffle de vie, son ange quoi. Et elle avait continué :
" Alors quand je serai devenue un ange, avec mes elles, ne lumineuse et l'autre ténébreuse, je reviendrai te voir ! "
Comme si elle avait su qu'elle allait partir avant lui. Bien avant lui.
Son coeur se serra. Il commençait à se noyer dans la douleur et à tomber dans un de ses états de déchirante dépression lorsqu'un faible bruissement le ramena à la réalité. Il n'était pas seul, il ne pouvait pas se permettre de se laisser aller maintenant. Il ferma son visage à la moindre expression et garda les yeux clos pour se calmer intérieurement. C'était une de ses règles : ne jamais montrer le moindre signe de faiblesse devant l'ennemi. Il se concentra sur le bruit de sa respiration, écouta. Nouveau bruissement. Les coins de ses lèvres frémirent d'amusement. Le bruit s'était fait entendre tout proche. Vraiment très proche. Plus proche que ce que madison aurait dû pouvoir s'autoriser. Qu'essayait-elle donc de faire ? La curiosité pointa le bout de son nez et il se décida à attendre. Il y eut un nouveau froissement. Léger, volatile, celui d'un vêtement, à peine perceptible. Et surtout plus proche que le précédent. D. réprima un sourire et attendit la suite. Une suite qui fut brusquement coupée par des coups secs frappés à la porte. Sans plus de cérémonie, Nick entra dans la pièce et lui adressa un hochement de tête. Il jeta ensuite un long regard appuyé à Madison et D. n'en perdit pas une miette. Il n'allait pas faire d'erreur et le mettrait en garde avant de partir. Mais avant, il lui fallait régler un petit désagrément. Il ne prit pas la peine de se lever de son fauteuil et lança d'une vois d'avertissement.

- Je n'aime pas qu'on m'interrompe. Si la prochaine fois tu n'attends pas que je t'autorise à entrer, tu n'entreras plus jamais.

Puis il se leva et marcha vers lui.

- J'ai besoin que tu la ramènes.

Nick jeta un regard méprisant à la pauvre Madison et cracha :

- Je ne suis pas là pour jouer les nounous, dis-moi ce pour quoi tu as besoin de moi mais il y a d'autres gens pour faire ça !

Les yeux de D. se firent durs, menaçants

- Je ne plaisante pas, si je te demande de jouer les nounous, tu joueras les nounous, et pas plus tard que maintenant. Et écoute bien : je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit, sinon ce sera à toi que je m'adresserai pour payer les compensations, tu m'as bien compris ? Viens Madison, approche.

Calme. Souffle. Respire. Réfléchis. Les ordres se succédaient un à un, se réorganisaient, se bousculaient. Elle ne comprenait plus rien. Qu'allait-on faire d'elle vraiment ? Elle était persuadée qu'elle ne rentrerait pas chez elle aussi facilement... Le jeune homme blond n'avait pas l'air très motivé pour la ramener. Et s'il se défoulait sur elle ? Elle ne pourrait pas faire grands choses face à un mec aussi bien bati. "Mad', tu devrais sérieusement te remettre au sport." Si elle rentrait chez elle entière, elle allait appliquer cette sage recommandation. Et prendre aussi des cours de self defense. Ca lui servirait pour sûr ! Elle leva les yeux vers D, les chargea de haine mais obéit tout de même. Elle s'approcha timidement de son hôte de cette nuit et de son futur baby sitter. Ils la fixaient sans rien dire, comme s'ils attendaient quelque chose d'elle. Puis le blond que D avait appelé Nick la débarassa de son sac et fit un signe de tête affirmatif à D.

- Si son altesse voulait bien me suivre. Je la reconduis chez elle.

Madison déglutit. Elle n'avait pas confiance en ce type. Qui sait s'il suivrait les ordres de D ? Peut-être la laisserait-il aux mains de mecs répugnants en manque de sexe ! Elle s'imaginait mal jouer les sex toys pour tous les voyous mal baisés du coin.
Elle fusilla D du regard alors qu'elle se faisait entraîner à l'extérieur d'une poigne de fer.


Pas fini >.<